Née aux États-Unis en 1975, l’audiodescription permet aux personnes non et malvoyantes de « voir par les mots ». En décrivant ce qui se passe sur scène, les gestes de l’artiste, de ses musiciens, les costumes, les lumières, l’interaction avec le public, l’audiodescription rend les spectacles accessibles sans rien retirer à leur intensité. Diffusée via casque sans fil, elle transforme l’écoute en image mentale.

À Nantes, le festival Aux Heures d’Été qui invite chaque été à découvrir et partager les musiques du monde, renouvelle pour la deuxième année sa collaboration avec Pick Up Production autour du dispositif des audiodescriptions de concerts. Une démarche précieuse pour rendre la musique accessible au plus grand nombre. 

Cette année, deux soirées du festival sont proposées en audiodescription : 

  • 17 juillet : Éléonore Fourniau Quintet, musique et voix kurdes puissantes. Neynik, son premier album, met à l’honneur la richesse culturelle des quatre régions et des différents dialectes kurdes.
  • 7 août : MITSUNE, fusion japonaise psyché à base de shamisen, énergie punk et visuels envoûtants.

Discussion regards croisés avec Clarisse

Nous avons proposé à Clarisse, l’une des participantes, un temps d’échange sur son expérience aux concerts du festival Aux Heures d’Été. Littéraire, passionnée de culture, elle est une habituée des audiodescriptions de Jérémy, responsable des relations aux publics chez Pick Up Production. C’est Alex, assistant communication au sein de l’équipe qui  lui a posé quelques questions.

Comment as-tu entendu parler des audiodescriptions ?

« En général, j’en avais toujours entendu parler sans penser en avoir besoin. C’est un temps d’adaptation et on finit par trouver des solutions. Ma première vraie sensibilisation, c’était il y a 50 ans avec une association. Mais ma première expérience d’audiodescription, c’est à Nantes avec Jérémy en 2020. J’étais venue prendre des informations lors d’un concert End of the Weak et Jérémy m’a tendu un casque, sans inscription, sans rien, pour que j’essaie. J’ai trouvé l’accueil formidable. Je l’ai écouté, et ça a été un premier déclic. Ensuite, lors du festival Hip Opsession, l’audiodescription des battles de hip-hop m’a bouleversée, avec les relais des personnes qui audiodescrivaient pendant trois heures et demie. Encore hier (jeudi, jour de l’audiodescription aux heures d’été), quelqu’un est venu me poser des questions sur ce que c’était et comment ça fonctionnait. »


Est-ce que tu avais des appréhensions avant de venir ? Avais-tu déjà fait de l’audiodescription ?

« Je n’avais aucune appréhension liée à l’audiodescription, car c’est du plaisir. Je sais qu’il y a maintenant énormément de moyens mis en place pour que je puisse profiter comme tout le monde, entre guillemets. Mais le déplacement, la réservation… ça reste compliqué pour moi. C’est ça, le handicap. Et puis, c’est une activité qui demande énormément de concentration, d’effort. C’est du plaisir, mais aussi de l’effort. »


Globalement, qu’est-ce que t’apporte l’audiodescription dans ton expérience ?

« Beaucoup de choses. Le spectacle, avant qu’il commence, quand on est assis comme n’importe qui, on a des informations sur l’environnement. On nous présente le lieu, on introduit le spectacle… Ça m’apporte énormément. Même en tant que voyante, j’ai toujours été très curieuse de ces choses-là. C’est un plus que les gens qui voient n’ont pas. Il y a aussi toutes les précisions sur les instruments, la musique, données au bon moment, avec justesse, sans trop en ajouter. Mais aussi sur les actions de la chanteuse, ses sourires, ses interactions… Et comme c’est bien fait techniquement, c’est très pro, on entend bien tout. On nous explique ce que quelqu’un qui voit, verrait : les entrées sur scène, les sorties, les déplacements de la chanteuse, ses gestes… Et ce n’est jamais de trop. Être avec le public aussi, comprendre ce qu’il se passe, c’est important. Mais on entend parfois des gens qui parlent à côté de nous, ça nous parasite, et ça, c’est difficile, car ça demande beaucoup d’effort pour nous. »


Entre imagination, interprétation et visualisation précise de ce qu’on te décrit, comment fonctionnes-tu dans ton expérience d’écoute ? Est-ce que tu te laisses porter ou tu essaies de retranscrire le plus fidèlement possible ce que tu entends ?

« D’abord, j’ai appris à m’ajuster, à comprendre naturellement. C’est complexe, mais la complexité, c’est le quotidien pour un malvoyant. Moi, après, je me laisse porter. J’aime avoir des infos sur le lieu, pouvoir comprendre où je suis. Je pense que c’est vraiment un ressenti personnel, ça n’a rien à voir avec le handicap. Je prends les informations, et après, on imagine naturellement. »


Est-ce que ça t’arrive de louper des infos ou d’être perturbée par une information qu’on ne te donne pas ?

« Euh non, je dirais non. Je veux pas encore lancer des fleurs à Jeremy, mais visiblement non. Je n’ai pas l’impression de louper quoi que ce soit. D’abord, je n’ai pas de difficulté d’audition, car il y en a qui conjuguent les deux. Mais oui, on est dans une attention qui fatigue, et il y a des gens qui parlent beaucoup, qui posent problème. Des gens qui ne comprennent pas, qui méprisent les handicapés, et qui nous reprochent de « prendre de la place ». »


En tant que malvoyante, as-tu l’impression d’être coupée d’une partie de la culture aujourd’hui ?

« Ma réponse serait non, car à Nantes, il y a beaucoup de choses. Il y a les transports ; sans transports, je ne pourrais rien faire. Il y a le Proxibus, et sans ça, je ne pourrais pas me déplacer comme je le fais. Il y a beaucoup de structures qui t’accompagnent. Mais pour rester lucide, il n’y a pas grand-chose par rapport à l’offre, notamment pour le spectacle vivant. Ça demande beaucoup de moyens. Quand une politique culturelle dit les grands mots mais ne donne pas les moyens, c’est dommage. Et je parle de tout… La culture, c’est aussi un match de foot. »


Globalement, as-tu apprécié ton expérience et as-tu des remarques ou retours à faire ?

« Pas pour Jérémy. Mais dans les lieux, je trouve ça parasitant qu’il y ait de la musique de fond pendant l’audiodescription avant le concert. C’est très épuisant. Après, on s’adapte et on compense. Le mot compenser est là toute notre vie quand tu as un handicap. J’y reviens, mais je pense que quand Jérémy m’a tendu le casque la première fois, ça a été la bonne manière de découvrir ça. Tu passes un cap dans ton rapport à ton propre handicap, même si je n’ai jamais été dans le déni. »